Domages collatéraux 2
Depuis quelques semaines, mon bras gauche se conduit comme un goujat, il refuse tout simplement de fonctionner correctement. C'est une nouvelle conséquence de l'opération. Mais un vieux proverbe ne nous dit-il pas, d'ailleurs, que le corps a ses raisons que la raison ne connaît pas? Si. Mais quand même, ça n'est pas une excuse. J'ai donc appliqué consciencieusement un marteau de taille respectable sur la tempe de mon médecin, ainsi qu'une pétoire Corse, afin qu'il me prescrive quelques séances de balnéothérapie.
Mais je vois que vous me jalousez; que vous vous dîtes: "que..quoi? Comment ose-t-elle réclamer le bon fonctionnement d'un membre dont elle ne se sert jamais, sauf pour peler une orange et encore?". Et vous avez bien raison. Mais n'allez pas imaginer qu'une balnéothérapie se fait à Ouarzazate dans une piscine suffisamment grande pour contenir le monde perdu ET ses animaux, c'est un mythe. Dans le cadre d'une rééducation fonctionnelle simple, une balnéo classique se fait dans un bassin de 6 mètres sur 2 dans lequel les praticiens tentent, avec plus ou moins de bonheur, de faire entrer le monde perdu ET ses animaux. Nuance.
Ce qui provoque nombre de situations cocasses et délicates.
Passe encore qu'il vous faille porter un bonnet de bain. Quoi que.
A part les pinces à vélo, je ne connais pas un accessoire plus grotesque que le bonnet de bain. A supposer que vous parveniez à l'enfiler correctement (contrairement à ce qu'on essaie de nous faire croire, le bonnet de bain n'est pas en caoutchouc. Si c'était le cas, il ne vous comprimerait pas les tempes comme si vous aviez placé par mégarde votre crâne dans un casse-noix), il reste toujours quelques touffes de cheveux qui dépassent de chaque côté, ce qui ne manque pas de vous donner un petit côté Bozo du plus bel effet. Allez vous plaindre de douleurs articulaires avec un bonnet de bain sur la tête, vous allez voir comme on vous prend au sérieux. Je suppose que c'est d'ailleurs le but recherché.
Si vous n'avez pas de bonnet de bain (non, monsieur le commissaire. Moi, j'avais un bonnet de bain. Ce sont les autres, là, qui n'ont pas pris leurs affaires. Moi, j'ai tout fait comme on me l'avait dit, monsieur le commissaire, j'ai pris un bonnet de bain. D'ailleurs, auriez-vous, par hasard, une paire de tenailles sous la main, que je puisse l'enlever rapidement? Je crois que mon cerveau n'est plus irrigué), on vous prête gracieusement une charlotte transparente. Croyez moi, il est extrêmement hasardeux d'entretenir une conversation sérieuse avec 3 personnes d'âge respectable coiffées de charlottes transparentes. Il arrive toujours un moment où vous n'avez plus le recul nécessaire. Je vous demande simplement de faire un petit effort d'imagination: toutes les personnes présentes dans le bassin viennent de faire face à d'impitoyables remises en question, chacune d'entre elles est une créature de Frankenstein couturée de haut en bas. Vous pensez sincèrement que les affubler de charlottes transparentes va les aider à reprendre confiance? Du coup, j'ai trouvé ma mission; car grâce à mon bonnet de bain, c'est pire. Et tout le bassin rigole.
Il est bon de se sentir utile.
Parfois, la kinésithérapeute part vaquer à quelques occupations, peut-être même en profite-t-elle pour aller faire un scrabble au sein de l'association de quartier, et vous laisse seule et désemparée pendant de longs moments. La consigne est simple: vous devez jongler avec de grosses masses colorées pendant qu'elle dispute un championnat de tranchage de billes de bois à mains nues dans le Saskatchewan(j'ai déjà vu ce genre d'ustensiles dans la chambre de mon neveu, mais je refuse d'imaginer que la kinésithérapeute fasse ses courses à King Jouet. Ce serait très déprimant).
On s'ennuie donc vite.
En ce qui me concerne, j'ai trouvé la parade. J'esquisse quelques petits pas de danse à la Fred Astaire tout en jonglant, en prenant bien soin de le faire lorsque mes compagnons de bassin ont le dos tourné. ça marchait plutôt bien, jusqu'à ce que je découvre une petite caméra fixée au plafond. Parfait. La kiné va probablement croire que je suis sujette à des crises d'épilepsie incontrôlables, voilà qui devrait épaissir mon dossier, et favoriser son empathie.
Au bout d'un petit moment, lorsque tout le monde a pris ses marques, et est enfin parvenu à considérer la charlotte transparente comme un banal outil de communication, il est possible d'organiser une féérie des eaux tout-à-fait surréaliste. En gros, c'est comme dans "2001, l'odyssée de l'espace", quand les astronautes se laissent aller en apesanteur et font un peu n'importe quoi, mais avec beaucoup de rigueur scientifique. Les quilles de 2 kg s'échappent de vos mains et jaillissent au petit bonheur la chance, vous dérapez sur le sol et vous vous retrouvez à la surface, flottant comme un "X" dessiné par un enfant de 5 ans, votre épaule vous fait un mal de chien et vous flanquez au passage, par mégarde, un bon coup de pied dans la charlotte transparente de votre voisine de banc, celle qui vient de subir une lobotomie délicate.
C'est très bon enfant.
La kinésithérapeute m'a annoncé que j'allais dès demain travailler au fond du bassin.
Avec un masque et un tuba.
J'en ri d'avance.