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Anevrisme: journal d'une maladie
29 novembre 2008

hallucinations

En questionnant les personnes autour de moi, j'ai appris que la plupart d'entre elles ne se souvenaient pas de leurs hallucinations sous morphine. Elles gardaient cependant un malaise, une angoisse, une espèce de sentiment vague et poisseux de persécution. Mais rien de vraiment précis.

Je me souviens de tout. Je ne sais pas si ce témoignage, personnel, peut-être utile; mais raconter ce genre de chose peut peut-être aider ceux qui ne savent pas à quoi s'attendre après une anesthésie lourde. Et j'ai aussi besoin d'en parler.

Le chirurgien m'a dit: "ça n'était pas votre faute". Non, bien sûr que ça n'était pas ma faute. Mais ce personnage là, c'était moi. Ce qu'il a dit, c'était moi. Et il faut bien vivre avec ça.

Ma première hallucination était terrifiante, mais pas violente. La violence est venue plus tard. Deux personnages étranges étaient à mon chevet. Le premier était une femme, dont le visage était un écran d'ordinateur. Elle était équipée de 4 paires de seins; je suppose que ce devait être le respirateur. A ma droite, un homme, avec l'écran d'ordinateur à la place du ventre. Comme j'étais ouverte de haut en bas, j'imagine qu'il symbolisait une machine qui me maintenait en vie, ou la circulation extra-corporelle. Des algues étranges se baladaient au plafond, et j'entendais de la musique. C'était une musique inquiétante, le genre qu'on entend dans un vieux film avec Louis Jouvet. Sur le côté, à travers une espèce de large vitre, je voyais le chirurgien flotter en apesanteur en compagnie d'une femme magnifique. Il lui offrait une robe.

Oui, je sais. C'est assez crétin comme vision. Mais sous morphine, on ne contrôle rien.

L'hallucination la plus violente, la plus terrible et la plus récurrente est venue ensuite. C'était ce jeune homme, blond, avec des cheveux mi-longs et bouclés. Il était derrière moi, et jouait avec mes perfusions, mon respirateur, mon lit. Il voulait me tuer, il inventait tout un tas de pièges alambiqués pour que je meurs. J'ai tenté de le raisonner à plusieurs reprises, ça a dû faire bien rigoler les infirmières. J'étais là, branchée de tous les côtés, et je monologuais avec la lampe de plafond que je croyais être un micro. Il avait l'habitude de partir dans une espèce de grande gerbe d'étincelles. Je guettais son retour avec angoisse. Un jour, il est apparu, le visage dévoré de vers, il m'a fait comprendre qu'il allait arracher la peau du mien petit à petit, lambeaux après lambeaux. Ce jour là, j'ai compris qu'il était mon ange de la mort personnel. 

La honte.

Une autre fois, il a tenté de m'assassiner avec une espèce d'énorme cuillère en bois, qu'il avait attachée à la potence de mes perfusions. Du pur Tim Burton. Il est aussi venu avec une épée gigantesque, qu'il brandissait au dessus de ma tête.Je la voyais très bien dans le reflet de la vitre. Ce jour là, il m'a semblé que le chirurgien avait convoqué toute l'équipe devant ma chambre, pour barrer le passage à d'éventuels secours. En gros, ils lui facilitaient la tâche, les salauds. Lors de mes rares moments de lucidité, l'anesthésiste tentait de m'expliquer que tout ceci n'existait pas. Mais je ne le croyais pas, c'était trop réel.

Je ne compte plus le nombre de fois où j'ai changé de chambre, en esprit. Mais tout ça était tellement vrai que je comprends mieux pourquoi la drogue peut conduire à toutes sortes de comportements déviants. Je n'avais plus aucun repère, je ne distinguais ni le jour, ni la nuit, j'étais promenée du sous-sol aux étages, jusqu'au jour où j'ai été transportée dans une espèce de cave équipée de machines. Là, l'ange de la mort m'attendait avec un sabre-laser, et il a bien failli avoir ma peau ce jour là.

Oui, ça aussi c'est bien la honte.

L'équipe médicale, qui avait bien entendu juré ma perte et dont j'étais devenue le souffre-douleur, jouait avec mon portable et se faisait passer pour ma mère (je rappelle qu'il s'agit d'hallucinations. Le personnel médical a plus que probablement été parfait). J'ai passé beaucoup de temps à contempler mon reflet dans la vitre. Plus le temps passait, plus mon corps disparaissait. Une jambe, puis un bras. Je me ratatinais, aussi. Jusqu'au jour où la moitié de mon visage a disparu. J'étais face à moi, et j'ai perdu le côté gauche. Pendant ce temps, l'ange de la mort m'exhortait à me suicider, mais je refusais. Il voulait que je me jette par la fenêtre; et quand il n'était pas là, ses yeux verts de chat, immenses, me suivaient sur le bord de la vitre. Et je regardais le plafond, et j'y voyais d'atroces peintures de corps déformés et mutilés. Il y avait aussi une étrange horloge aux chiffres déglingués, à l'envers. Lorsque qu'on me mettait le masque à oxygène, je suivais des yeux cette horloge, et j'arrachais le masque dès que la demi-heure d'aide respiratoire était passée.

Mais l'horloge n'existait pas.

Et puis un jour, l'ange de la mort et moi nous sommes réconciliés; je ne me souviens plus très bien des circonstances, mais il me semble que je lui ai pardonné toutes ses tentatives de meurtre. Du coup, il n'en finissait plus de partir, sur une mauvaise musique de mélo. Il m'envoyait des baisers auxquels je répondais, c'était pathétique. Il est alors devenu mon protecteur. Il se tenait là, près de moi, campé sur ses deux jambes, et brandissait cette épée qui était devenue une sorte de bouclier contre ceux qui me voulaient du mal. Une paire d'ailes avait poussé dans son dos. Lui et moi avons encore eu quelques accrochages, mais nous ne nous haïssions plus. Je l'ai revu par la suite, dans d'autres circonstances. Il apparaissait parfois dans la chambre d'à côté.

Et dans cette chambre, il se passait des choses épouvantables.

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Commentaires
Anevrisme: journal d'une maladie
  • Une maladie qui change la vie, une opération longue et douloureuse, des dommages collatéraux certains. Mais doit-on pour autant cesser d'en rire? Comme disait l'humoriste, on peut rire de tout. Mais pas avec n'importe qui. Alors, bienvenue!
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